Vassago Haborym [ Khyrma ]

Aucun visage ne certifie mieux l’assurance surnaturelle du démon que le sien. L’humanité, pourtant plus émotive, saurait sans le moindre doute lui enseigner les valeurs de l’altruisme et lui faire éprouver toute une spirale de sentiments qui lui paraîtraient jusqu’alors parfaitement occultes; mais Vassago est né avec les traits de la véritable malice… La banalité teintée d’un mal profond et insidieux. Une démence sinistre reluisant au fond des pupilles, et la conviction de mondes entiers résidant au creux de ses mains lestes.

Son aspect charnel retranscrit tout aussi bien ses principes que ses mots. Et ses paroles desservent en retour son physique persuasif. Le démon se sertit d’une myriade d’attraits profitant à sa stature d’inspirant symbole de perfidie. Si tout charme est relatif, il n’émane pas moins de sa personne un sentiment de modeste allégresse auquel se mêle un arôme de tentation particulièrement abstrait… Une vague sensation d’intrigue qui l’accompagne là où ses pas traînent. Les traits raffinés qu’il décrit et l’allure ferme rendent son portrait facilement reconnaissable, et l’expression de ses ambitions y reluisent de plus belle.

Vassago est un éclat de sobriété et d’extravagance; un savant mélange interdit entre la simplicité d’un portrait semble-t-il humain et l’exotisme profane des démons de son espèce. L’air calculateur que dégagent les atours subtils de son visage est appuyé par la lueur infernale qui émane de ses pupilles perçantes au brasier immuable. L’insondable détermination qui trouve sa résolution dans les intentions qu’évoque son regard. La fermeté de son assurance, la finesse de ses lèvres à la pulpe discrète articulant les sages paroles du visionnaire qu’il incarne; ce n’est pas tant par son apparence qu’il brille d’authenticité que par l’image de fier esprit meneur à la philosophie indéfectible.

Le faciès sculpté en douceur, la mâchoire tout juste relevée sur ses arrières afin de lui tailler une façade d’homme assagi et le nez aux formes adroites trônant au centre de son expression dominante, scindant l’espace entre ses prunelles d’un flamboyant surnaturel. Couronné d’une crinière du même effet; la teinte aux couleurs du carnage et la mèche affranchie voilant de manière hasardeuse le sommet de son visage; Vassago porte sur ses épaules la tête de l’élégant manipulateur aux intentions obscures.

C’est une image qu’appuie le reste de son attitude : le corps droit, impérieux et solennel; c’est un mètre soixante-quinze d’insolence justifiée par les moyens qu’il se donne. Sa peau laiteuse se laisse voiler par un long manteau de moyenne facture aux reliures absentes, laissant son cuir d’ébène couvrir l’entièreté de sa personne. Le col rajusté pour un style assorti à ses manières, mais aussi pour qu’on ne débusque pas au premier regard les écailles effacées transparaissant sur la racine de son échine et qui choient le long de sa colonne vertébrale.

Le démon a effectivement pris l’habitude de couver les traces de ses origines d’outre-plan, bien que ses yeux reluisent toujours aussi naturellement de ce scintillement malfaisant; que ses crocs acérés se présentent à chaque sourire excentrique qu’il tend aux passants, et que sa langue de vipère gerbe ses billevesées et démontre sa longueur exagérée et ses deux cimes anormales. Le mal ne l’habite pas; il le représente sous son profil le plus distingué.

Vassago est ce qu’il dit. La promesse de puissance sous l’apparence la plus mémorable… Le désir de pouvoir auquel on s’identifie tous. Parce qu’au bout du compte, même avec ses préceptes narcissiques, l’égoïsme d’un homme relève d’une passion commune : celle de dresser un portrait légendaire.

Qu’est-ce que la folie, sinon la raison d’un autre monde ? Comment définir ce qui n’est pas, comprendre le sens de ce qui n’en détient aucun… ? Quelle philosophie adopter lorsque les lois de l’univers sont elles-mêmes incapables de retenir un chaos sans précédent de se déverser à la croisée des destinées ? Que répliquer face à l’ordre en anarchie, à l’impartiale injustice… ? Comment se délivrer du joug de l’inconscience ? Certains esprits rêvent de liberté, d’autres de puissance, et d’autres encore de suprématie… Mais aucun d’entre eux ne pourra obtenir la véritable réponse à toutes ces questions, car aucune de ces volontés n’a la décence de voir au-delà de ce qui existe déjà.

L’unique force capable de résoudre ces mystères est l’élévation. Surpasser l’abstrait, obtenir le pouvoir de définir ce qui attend encore de l’être; braver le fil du destin pour se forger le sien, répondre fièrement de ses actes et se suffire à ce qu’ils narrent pour nous… Se déchaîner pour atteindre des sommets inexplorés. Accomplir sa quête d’absolution pour ne plus jamais avoir à se justifier. Est idiot celui qui aspire à la puissance pour l’unique plaisir de se glorifier. Vassago le sait, et dans sa vision démentielle de l’existence et de la valeur exagérée qu’il lui donne, il escompte marquer l’ère en prouvant la véracité de ses préceptes. Nihiliste à l’extrême, le démon se projette dans l’avenir qu’il se souhaite et se suffit à l’image qu’il s’offre.

Cette démence naturelle chez lui le rend terriblement imprédictible. Après tout, comment anticiper celui qui motorise son propre monde ? D’un égocentrisme impressionnant, l’écarlate porte en lui une détermination inébranlable qu’il conforte sans cesse dans l’idée qu’il détient les clefs du pouvoir. Sa vérité est unique, trésor sacré qu’il impose de par sa remarquable extravagance. Et si vous osez le contredire ? Ce serait si prévisible ! Car celui qui domine son monde ne peut être surpris, Vassago refuserait en bloc l’opposition, si bien que l’échec n’est déjà plus qu’un concept abstrait pour le démon mineur. Fou de soi, de son ambition, de son tempérament; l’excentricité et l’insubordination sont les attraits qu’il a assimilé le plus vite, si bien qu’il se retrouve souvent limité à ces aspects de sa personne.

Pour autant, le démon n’est pas sot. Au-delà de l’ignorance que son immortelle introversion implique, Vassago reste parfaitement attentif aux épreuves qui obstruent sa route vers l’ultime triomphe. Convaincu que les contrecoups qu’il viendrait à subir ne sont rien de plus que le fruit de son désir inconscient de satisfaction, le dominateur s’avère bien plus précautionneux que sa vanité le laisserait croire. Donnez au fou l’assurance qu’il se blessera lui-même dans son aliénation, et il évoluera. Sa folie ne transparaîtra plus que dans ses paroles les plus sensées, paradoxalement, et alors sa vigilance décuplera exponentiellement. Et plus vous nourrirez la raison qu’il se donne, plus il se renforcera derrière sa façade.

Dans son assurance, le démon s’est prélassé dans un manteau d’insensibilité où ses propos tranchants s’arment d’une éloquence douteuse. Pour autant, l’expression chaleureuse de ses pensées abstraites inspire toujours un fond de certitude avec laquelle Vassago s’est toujours bardé d’attrait. Un charisme intemporel, absurde, propre à sa folie raisonnée. Doublé d’une tempérance théâtrale galvanisée par sa mentalité contradictoire, l’infernal donne l’impression de raffermir ses positions dans son propre chaos psychologique tout en la prouvant être une logique tout aussi ferme que celle du commun.

Car l’élévation est la clef, et qu’il a surpassé le doute et le songe, le démon est purement convaincu d’avoir raison; et plus encore, de l’incarner. Ce qui se traduit par son infaillible ténacité d’esprit n’est autre que la conséquence d’un tumultueux mélange de perdition et de conviction. Un être rendant la différence normale et la psychose naturelle. Ivre de vésanie, tenu sobre par la logique la plus solide… La sienne.

Vassago est ainsi. Un paradoxe ambulant à la croissance inaltérable par d’autres mains que les siennes. Noyé dans sa propre croyance et pourvu d’une étrange faculté à provoquer autant d’animosité que d’empathie pour son esprit tortueux;  son assagissement infernal lui porte préjudice en alimentant ses désirs les plus ardents. La prétention suprême dans le sang et la malice de l’opportunisme dans le cerveau; tel est le démon qui souhaitait devenir l’ultime puissance. Une banale conscience ne pourrait jamais parvenir à établir un nouveau concept… Pas dans son monde.

"Le temps d’une existence. C’est tout ce qu’il me faut. Je n’ai besoin que d’une vie. La mienne. Et quand on scandera mon nom, les fondements mêmes de votre réalité trembleront."

Promesse perdue à travers les âges; la quête de pouvoir a tendance à investir ses prétendants d’une certaine… Déraison. On voit trop grand, trop loin; nos exigences décollent aussitôt et on perd de vue l’essentiel. Le prix à payer est souvent trop cher. Mais, paradoxalement, ces désirs primaires et cupides motivent réellement à sacrifier ce qui doit l’être au nom de notre ascension. Nous sommes prêts à abandonner notre humanité pour y parvenir. Nous libérer des chaînes de la mortalité pour arborer celles d’une ignominie… Une engeance du péché qui nous offre tant, pourvu qu’on lui dédie plus que ce que lui nous octroie… Nous devenons des esclaves de l’envie. Et comment s’y prendre pour se défaire de ses entraves pernicieuses ?

Il faut voir au-delà. Au-delà de l’horizon, de ce que notre conscience accepte, de ce que notre subconscient rejette… Accepter les affres de toutes les réalités, les assembler par un agencement de logiques contradictoires à la cohésion parfaite. Voir au-delà de tout. Mais aucun esprit mortel n’aurait la décence d’y réfléchir. L’esprit humain est égoïste par nature, et les rares altruistes qui s’y démarquent n’aspireront jamais à refaçonner les préceptes de la vie même. C’est une âme détraquée qui en concevra l’idée, et qui désire la force de la sublimer.

À travers les flots du temps; par-delà les frontières de l’existant et de ce qui viendra à l’être; un chant rebelle retentit. L’éclat d’un espoir criminel, d’un souhait lugubre et pourtant d’un scrupule sans égal… Entre les mille enfers circonscrits, un brasier vindicatif reluit et n’a que trop rarement vécu pareille intensité. Ses flammes, scindant l’obscurité dans laquelle elles sont nées, ont évoqué son renouveau… Et sa fatale décadence. Vassago en est le fier propriétaire.

Les démons constituent une espèce incomprise. On les relaie au rang de destructeurs, de malfaiteurs insidieux à la malice inégalée… Et on aurait tort de penser que Vassago sort du lot par le fondement de ses principes naturels. C’est dans leur interprétation et leur exécution qu’il se place au dessus. Créé dans un plan reculé, il n’a jamais été plus qu’un démon mineur à l’esprit évasif, rêvant de ce qu’on jugeait hors de sa portée. L’infernal s’est toujours bardé d’une indifférence remarquable face au jugement de ses congénères, et a vécu longtemps sans prêter attention à ce qu’ils pouvaient lui dire. Il apprenait pourtant bien d’eux. Les noms, les âges, les natures, les tempéraments… Et bientôt, il fut amené à connaître leur destinée.

L’outre-monde où résidait Vassago était mené d’une main ferme et haineuse par Alastor, un pair démoniaque de rang majeur. Et sa loi, unique et irrévocable, était claire… Quiconque menaçait son joug finirait anéanti sur-le-champ. À l’instar des jungles les plus rêches, le plus fort dirigeait, les faibles s’écrasaient. Vassago était relayé à la seconde catégorie… Et à raison. Son unique puissance résidait dans ses ambitions. Il n’était qu’un être insignifiant parmi toute la plèbe infernale qui traînait sur le domaine de son seigneur.

Le démon mineur n’y voyait aucun mal; il est après tout né avec le concept de supériorité dans le sang. Ce qu’il a fini par réfuter, le temps passant et ses observations s’affinant avec, c’est de gâcher son existence quand elle semblait lui promettre une infinité de possibilités. Chaque âme est capable de s’étendre jusqu’à surpasser les limites qui lui furent conçues à sa création. Alors pourquoi s’arrêter là ? Il était un démon, il ne brillait ni par un physique saillant, ni par une puissance démesurée… S’il souhaitait s’affranchir de cette éternité de lassitude, Vassago allait devoir s’en donner les moyens.

Ses compères se sont toujours prouvés être de fiables sources de pouvoir. Mais chaque démon vit de son vice, et un qui leur était commun était la possessivité. S’il ne pouvait leur emprunter leur force… Il allait la commander. Vassago a rarement été pris au sérieux, et les quelques instants parsemant sa piètre existence l’ayant placé sur un piédestal n’ont jamais mis autre chose en valeur que son talent à mener les foules. Un attrait qu’on lui reconnut, mais qu’on étouffa tout aussi prestement… La seule parole à louer était celle d’Alastor, le maître, de toute évidence. Et il arrivait fréquemment au démon mineur de se faire brutalement censurer pour ses propos visionnaires.

Les précieux alliés qui l’appuyaient finir même par le délaisser… Et c’est par eux qu’il allait entamer sa conquête. Vassago se consacra corps et âme à l’art douteux de dominer les esprits… Et entre les études qu’il menait déjà, et les nouvelles expériences impies auxquelles il s’adonnait à cœur joie, la voie qu’il se découvrit lui était toute indiquée. Les seuls esprits qu’il était en mesure d’investir étaient ceux de ses semblables… Il entretint son secret précieusement, avec d’infinies précautions doublées d’une extrême profondeur de savoir-faire, accumulé au fil de son premier siècle d’existence. Et ainsi, ses arcanes se précisèrent. Elles perdirent de leur présomption, et obtinrent en retour un sinistre relent de pouvoir… Capable de diriger ses frères, ce pouvoir caché dans les origines de son sang a été dévoilé et reluit aujourd’hui d’une splendeur malsaine. Vassago pratique depuis ce jour le démonisme, technique de contrôle interdite tant chez les mortels que chez ses analogues devenues proies aux yeux de sa force découverte.

D’une conscience manipulatrice et calculatrice, la froideur de ses raisonnements n’avaient d’égal que leur redoutable efficacité. Sa révolution était en marche, et Vassago tissait dans l’ombre les premiers nœuds de son soulèvement. Il usa de son pouvoir afin de conquérir ses plus proches égaux, et étala sa maîtrise sur de nombreuses décennies; si bien qu’il se révéla rapidement capable de forcer sa volonté chez les démons supérieurs à son rang. S’il était encore loin d’Alastor, les liens qu’il nouait et ceux qu’il confectionnait désormais lui permirent tôt ou tard d’atteindre de nouveaux sommets…

Les plus proches disciples du maître n’étaient pas réputés pour détenir des facultés hors du commun; ce dernier n’aurait jamais permis qu’un de ses proches soit capable un jour de le surpasser; mais pour les secrets qu’ils possédaient sur les mécanismes de leur réalité et d’Alastor lui-même. Leur plan vivait de lois propres à leur enclos démoniaque, et Vassago convoitait ce savoir reclus afin de le retourner contre son seigneur. Son coup d’état serait magistral… Le démon majeur rejeté par son propre monde. Le portrait d’un triomphe grandiose trouvait déjà ses premières esquisses au fond de l’esprit élancé du vil manipulateur.

Il jeta donc son dévolu sur les premiers élèves du maître, qu’il ajouta à son compte à la suite d’une énième décennie écoulée. Vassago devait avoir 250 ans lorsqu’il a reçu la vérité qui marqua son évolution à tout jamais… L’un des démons dont il prit le contrôle le tint informé du pouvoir du démon majeur. Complètement autre que ce qu’il aurait pu lui trouver, Alastor ne se suffisait pas à avoir la force de dévaster ses plus féroces congénères… Il s’avérait que son pouvoir le rendait capable d’affecter leur réalité. Une puissance ultime, révélatrice de sa suprématie… Le pouvoir de la destruction. Au-delà des idées les plus concrètes que ce mot inspirait, le seigneur démoniaque en incarnait le concept même…

… Ce qui éveilla de sévères réflexions chez Vassago, qui établit alors une retraite secrète durant laquelle il cherchait inlassablement un premier moyen d’y survivre… Mais si ce que ses espions lui rapportaient était fondé, alors il n’aurait aucune chance. Que faire face à la volonté d’anéantir ce qui existe ? Il douta alors fortement. Si Alastor possédait une telle force… Pourquoi n’en fait-il rien ? Le maître a toujours vécu dans son plan, et n’a que trop rarement manifesté sa présence afin qu’on puisse lui imaginer la moindre ambition. Vassago émit alors une hypothèse pour le moins risquée…

… Si son seigneur n’a rien fait de sa puissance, c’est qu’il ne doit pas encore parfaitement la contrôler, pensait-il. C’était un pari à double tranchant qu’il était prêt à relever. Et… Se convaincre de cette supposée vérité l’instigua d’une détermination inédite. Peut-être était-il encore temps de le renverser. Peut-être… Pouvait-il même tenter l’impensable. Obtenir son pouvoir, et le détruire avec. L’ultime humiliation… La victoire totale. Depuis ce jour, jamais Vassago n’a cessé de sourire. Depuis que cette conviction est née en lui, jamais plus il n’a souffert d’appréhension. Le doute n’était plus permis, de même que la définition de la défaite perdit toute valeur à ses yeux carmin.

Le temps s’écoula, et Vassago entama de plus sérieuses préparations pour son opération suicidaire. Il atteignit son troisième siècle avant qu’il n’aie le temps de le remarquer, et pendant que Bedragoth vibrait d’exploits issus de plus sanglants conflits, le monde d’Alastor voyait une puissance dans l’ombre grandir massivement… Le démon mineur commençait à sérieusement s’imposer.

Au fil des dernières années, il fit la possession d’un nouveau disciple d’Alastor qu’il chargea de l’espionner plus activement afin de lui dévoiler les rouages de son pouvoir. Vassago préserva ce savoir pour lui, et il débuta ses propres expérimentations dans la lancée. Hélas, un pouvoir d’une telle envergure prit son temps à se laisser amadouer… Et avant même d’obtenir un résultat concluant, les émanations de la manifestation de sa propre essence destructrice éveilla finalement l’attention du seigneur.

Alastor découvrit les manigances de Vassago, qu’il exila sans plus de cérémonie. Le démon mineur fut pris de court et s’est bien vite révélé incapable de contrer l’implacable masse de pouvoir qui s’abattit sur sa destinée. C’est après une longue déchéance à l’image de chute effrénée, qui lui parut durer une infinité d’éternités, que le démoniste finit par choyer en des landes inconnues… Des contrées qui lui parurent tout sauf normales. Des élans verdoyants à en perdre l’horizon, une voûte azurée comme ciel bien différente des plafonds d’obscurité sous lesquels erraient les démons qu’il côtoyait et contrôlait…

… Et la rage inquisitrice des visages qui peuplaient les lieux. Sa première rencontre avec les occupants de ce monde étrange était douloureuse. S’il put s’échapper en faisant appel à une bribe de son pouvoir, fragilisé par le changement de réalité et par le choc de l’inconnu, Vassago comprit rapidement que sa présence était malvenue et qu’on le souhaitait au plus bas… Encore. Finalement, ces paysages pittoresques n’avaient rien qui différaient de son ancien domaine. Et il ne perdit toujours pas son sourire.

Le démon fuyait, vivait de peu et s’en suffisait, pourvu qu’il soit en mesure d’expérimenter son pouvoir dans les recoins les plus isolés de cette terre énigmatique. Armé de trois siècles d’expérience, Vassago s’est octroyé la prouesse de l’adaptation avec brio, et comptait bien là-dessus pour se reprendre en main et s’habituer aux nouvelles lois de ce monde. En attendant le jour où il pourrait prendre sa revanche sur Alastor… Il pourra se consacrer à la découverte de ces pays riches de vies jamais aperçues. À leur étude… À leur contrôle.

Il écoula ses cinq dernières décennies à parfaire ses rudiments, et à étendre son pouvoir autant que faire se peut. Sa progression, hélas, trouva de nombreuses raisons de se ralentir. Entre les chasseurs de démons et les batailles se déchaînant tout autour de lui, Vassago n’avait aucun refuge où s’établir plus sûrement… Il erra sans optique plus sincère que celle de survivre pendant de longues années, avant que n’intervienne les forces Khryma. Le jour où le royaume naissant déclara son soutien à l’attention du reste de Bedragoth; dont il finit par trouver le nom au détour d’un autre combat pour sa vie; il embarqua discrètement dans un des vaisseaux destinés à porter les peuples en lieu sûr. C’est là qu’il remarqua l’étrange variété qui constitue aujourd’hui encore celui de Khryma… Et la promesse d’un refuge pour les êtres de son espèce.

Vassago n’ayant jamais réellement souhaité le mal d’autrui, il obtint aisément les moyens de se lier à l’un des marins qui l’ont sauvé des guerres dont il ne savait rien. Son éloquence encore reconnue soutint bienheureusement son désir d’assurance, et il finit par s’accorder avec l’un des équipages pour rentrer avec eux. Son nouveau confrère lui fit part des intentions de leur dirigeante d’installer un point de Khryma en Bedragoth, ce qui attisa davantage l’intérêt du puissant en devenir.

Là-bas, le démon s’établit un refuge. Il écoula les dix dernières années à s’y trouver une tanière où tenir son affaire d’ermite infernal, et où on ne viendrait pas toquer à sa porte torche à une main et glaive dans l’autre en quête de sa tête. Sa présence a longtemps fait office de rumeur parmi les habitants de l’île, et on a rarement relevé son existence tant le démon s’affaira à s’effacer au sein des masses.

Aujourd’hui, éduqué par une assurance intime et une oppressante solitude, l’esprit infernal de Vassago a développé les forces requises pour se suffire à lui-même. Sûr de lui, tout aussi fier et convaincu; d’une extravagance qui rendrait les optimistes dépressifs et bardé d’une volonté à surpasser ses propres attentes jusqu’à en perdre le cap; le démon ne se tient plus qu’à une seule parole… La sienne. Celle de rendre à la vie ce qu’elle lui a offerte…

… Le pouvoir de s’élever au-delà de tout.